dimanche 31 août 2025

Une brève étude du récentisme

 

La question de la constitution de la chronologie occidentale depuis la naissance du Christ, son évolution depuis les systèmes basés sur les règnes des souverains, et la pertinence du récentisme implique une analyse historique et historiographique complexe. Voici une réponse structurée et concise, suivie d'une évaluation du récentisme et des travaux-clés.

1. Constitution de la chronologie occidentale

a. Avant l’ère chrétienne : chronologies locales et règnes souverains

Avant l’adoption d’une chronologie universelle, les sociétés utilisaient des systèmes variés pour dater les événements :

Règnes des souverains : Les années étaient souvent comptées par référence au règne d’un roi ou empereur (ex. : « la 5e année du règne de Ramsès II » en Égypte ou « sous le consulat de X » à Rome).

Événements marquants : Certaines cultures utilisaient des événements significatifs (ex. : fondation de Rome en 753 av. J.-C. pour les Romains).

Cycles astronomiques : Les calendriers lunaires ou solaires (comme en Mésopotamie) servaient aussi de repères.

b. Introduction de l’ère chrétienne

L’idée de dater les années à partir de la naissance du Christ fut proposée par Denys le Petit (Dionysius Exiguus), un moine scythe, vers 525 apr. J.-C. :

Denys calcula l’Annus Domini (an de l’Incarnation) pour remplacer l’ère de Dioclétien, jugée trop associée à un persécuteur des chrétiens. Il basa ses calculs sur des sources bibliques et historiques, mais sans précision absolue (on estime aujourd’hui que Jésus est né entre 6 et 4 av. J.-C.). Ce système ne s’imposa que progressivement : il fut adopté en Europe occidentale grâce à Bède le Vénérable (8e siècle) et officialisé sous Charlemagne (9e siècle).

c. Standardisation et ajustements

Moyen Âge : L’ère chrétienne (Anno Domini, AD) devint la norme en Europe, mais les chronologies locales (ex. : ère hispanique en Espagne) persistèrent. Les erreurs de calcul, les divergences entre calendriers julien et grégorien, et les lacunes documentaires compliquèrent la synchronisation.

Réforme grégorienne (1582) : Le pape Grégoire XIII corrigea le calendrier julien, décalé de 10 jours, pour aligner les dates astronomiques et liturgiques.

Époque moderne : L’adoption du calendrier grégorien et des méthodes historiques critiques (par les Bollandistes, Mabillon, etc.) permit une chronologie plus rigoureuse, intégrant des sources non européennes (ex. : chronologies chinoises).

d. Méthodes modernes

La chronologie actuelle repose sur :

Sources écrites : Annales, chroniques, inscriptions.

Archéologie : Datation au carbone 14, dendrochronologie.

Astronomie : Événements célestes (éclipses, comètes) mentionnés dans les textes permettent de recouper les dates.

Numérisation : Bases de données et modélisations informatiques affinent les synchronisations.

2. Le récentisme : pertinence et limites

Le récentisme est une hypothèse controversée, principalement associée à des chercheurs comme Anatoly Fomenko (mathématicien russe), qui soutient que la chronologie traditionnelle est erronée et que l’histoire occidentale aurait été artificiellement allongée par des erreurs ou falsifications médiévales. Selon cette thèse, de nombreux événements avant le 10e siècle seraient des doublons ou des inventions.

a. Arguments du récentisme

Incohérences documentaires : Les lacunes dans les sources médiévales et les contradictions entre chroniques.

Méthodes statistiques : Fomenko utilise des analyses mathématiques (corrélations entre dynasties, cycles astronomiques) pour suggérer que des périodes historiques sont des redondances.

Critique des sources : Les récentistes affirment que les textes fondateurs (ex. : chroniques de Tacite) pourraient être des fabrications ultérieures.

b. Critiques du récentisme

Manque de rigueur historique : Les historiens reprochent au récentisme d’ignorer la diversité des sources (archéologiques, épigraphiques, numismatiques) et de s’appuyer sur des méthodes statistiques biaisées.

Incohérence avec les données matérielles : La datation au carbone 14, la dendrochronologie et les synchronisations avec les chronologies non européennes (ex. : chinoise, indienne) contredisent les compressions chronologiques proposées.

Approche conspirationniste : L’idée d’une falsification massive suppose une coordination improbable entre cultures et époques.

Consensus académique : La chronologie traditionnelle, bien qu’imparfaite, est validée par des décennies de recherches interdisciplinaires.

c. Pertinence ?

Le récentisme peut être vu comme une provocation intellectuelle utile pour questionner les certitudes chronologiques, mais ses conclusions extrêmes sont rejetées par la communauté scientifique. Il met en lumière des faiblesses dans les sources médiévales (ex. : interpolations dans les chroniques), mais ne fournit pas de modèle alternatif cohérent. Les progrès en archéologie et en datation scientifique renforcent la fiabilité de la chronologie traditionnelle.

3. Travaux-clés sur la chronologie et le récentisme

a. Sur la chronologie traditionnelle

Bède le Vénérable, De Temporum Ratione (725) : Fondement de l’usage de l’Annus Domini en Europe.

Joseph Justus Scaliger, De Emendatione Temporum (1583) : Première tentative moderne de synchronisation des chronologies mondiales.

Jean Mabillon, De Re Diplomatica (1681) : Méthodes critiques pour authentifier les documents médiévaux.

Alden A. Mosshammer, The Easter Computus and the Origins of the Christian Era (2008) : Analyse des calculs de Denys le Petit.

Daniel McCarthy, The Irish Annals: Their Genesis, Evolution and History (2008) : Étude des chroniques médiévales et de leur fiabilité.


b. Sur le récentisme

Anatoly Fomenko, History: Fiction or Science? (7 vol., 1990-2000) : Ouvrage principal du récentisme, controversé mais influent dans certains cercles.

Hermann Detering, Falsche Zeugnisse (1995) : Critique des sources chrétiennes, proche de certaines idées récentistes.


Réfutations :

Chris Wickham, Medieval Europe (2016) : Contexte historiographique solide contre les thèses récentistes.

David W. Anthony, The Horse, the Wheel, and Language (2007) : Archéologie et chronologie préhistorique incompatibles avec le récentisme.


c. Ressources méthodologiques

E.G. Richards, Mapping Time: The Calendar and Its History (1998) : Histoire des calendriers et de leur impact sur la chronologie.

Paul L. Barbour, Historical Chronology of the Roman Empire (2013) : Synthèse accessible sur la chronologie romaine.


Conclusion

La chronologie occidentale s’est construite progressivement, passant de systèmes locaux basés sur les règnes à une ère chrétienne universelle, affinée par des méthodes scientifiques modernes. Le récentisme, bien qu’intrigant, manque de fondement face aux preuves archéologiques et historiques. Pour approfondir, les travaux de Scaliger, Mosshammer et les sources primaires (Bède, annales) sont essentiels, tandis que Fomenko peut être lu avec un esprit critique pour comprendre les limites de cette approche.

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