lundi 24 novembre 2025

Vers un servage 2.0 : comment tout se tient

La France assiste, sous nos yeux, à une disparition accélérée de la propriété privée dans la classe moyenne. Ce n’est pas un accident, c’est une convergence logique de plusieurs forces qui se renforcent mutuellement.

  1. Le capitalisme mûr accomplit la prophétie de Marx, mais sans passer par la case « communisme »
    Contrairement à ce qu’ont cru les bolcheviks dans une Russie encore archaïque, le capitalisme avancé n’a pas besoin d’une révolution prolétarienne pour concentrer la propriété : il le fait tout seul, légalement et pacifiquement. L’enrichissement exponentiel des 0,1 % les plus riches (effet boule de neige du capital composé + rendements des actifs réels > croissance du PIB) finit par racheter la quasi-totalité des actifs tangibles : logements, terres agricoles, entrepôts, centres commerciaux. Aldo Sterone a raison : ce que les communistes russes ont tenté par la force en 1917, le capitalisme libéral le réalise en 2025 par le marché. Et il le fait plus proprement.

  2. Le grand écart inflation/déflation organise le transfert
    Depuis la fin de l’étalon-or (1971-1973), la monnaie-papier perd inexorablement sa valeur. En parallèle, la révolution technologique fait chuter les prix des biens industriels et numériques (loi de Moore, robotique, énergie). Résultat :

    • l’argent « fond » dans les poches des salariés et des retraités,

    • mais les biens vitaux et finis (logement, énergie, santé, éducation, nourriture de qualité) voient leurs prix s’envoler parce qu’ils ne suivent pas la déflation technologique.
      La classe moyenne est donc coincée : son salaire ou son épargne ne suffit plus à acheter la maison ou l’appartement qui, il y a 30 ans, était à sa portée. Elle devient locataire par nécessité.

  3. Les ultra-riches anticipent et accélèrent le mouvement
    Les milliardaires ne conservent plus leur richesse en cash ou en obligations : ils convertissent tout en actifs réels (terrains, immeubles entiers, fermes, data centers, parcs résidentiels). BlackRock, Vanguard et les fonds souverains achètent des quartiers entiers en Europe. En France, les institutionnels (CDC, Action Logement, assureurs) et les fonds étrangers détiennent déjà plus de 40 % du parc locatif privé dans certaines métropoles. Ils n’ont pas besoin de nationaliser : ils privatisent le logement au profit d’une rente perpétuelle.

  4. L’État n’exproprie pas, il rend la propriété impossible
    ZAN (« zéro artificialisation nette »), DPE, normes énergétiques, taxes foncières en hausse, PTZ rabotés, encadrement des loyers, future taxation des plus-values rapides… toutes ces mesures, présentées comme écologiques ou sociales, ont un effet commun : elles asphyxient l’accession individuelle tout en laissant les gros porteurs s’adapter (rénovation massive subventionnée, SCI, foncières cotées). Le résultat est le même qu’une expropriation, mais sans indemnité et sans bruit : la maison individuelle avec jardin devient un privilège de caste.

Conclusion : le néo-féodalisme locatif
On n’aura ni la collectivisation stalinienne ni la grande révolte prolétarienne. On aura simplement 80 à 90 % de la population qui ne possédera plus rien de tangible et paiera chaque mois une rente à ceux qui, eux, posséderont tout. Le mot « servage » n’est pas excessif : le serf médiéval avait l’usage de la terre mais n’en était pas propriétaire et payait une redevance au seigneur. Le locataire 2050 aura l’usage d’un logement mais n’en sera pas propriétaire et paiera une redevance à un fonds de pension texan ou norvégien.

Le processus est déjà très avancé. Il n’est ni conspirationniste ni accidentel : il est la conséquence mécanique d’un capitalisme arrivé à maturité dans un monde où l’argent perd sa valeur mais où les actifs finis gardent la leur.
La seule question qui reste est de savoir si l’on peut encore infléchir la trajectoire… ou si l’on doit simplement se préparer à vivre dans ce nouveau monde-là.

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