samedi 18 janvier 2020

La CIA et la guerre froide culturelle ...

Note de lecture. Who paid The Piper? The CIA and the cultural cold war. By Frances Stonor Saunders. Granta Books edit. London, 1999.


La guerre froide ne fut qu’un épisode de l’opposition géopolitique entre la Russie et le monde anglo-saxon. Cette opposition cache en fait la convoitise ancienne du capitalisme anglo-saxon pour l’immense territoire russe, ses richesses naturelles et sa position géostratégique. Cette convoitise est formalisée dans le plan Mackinder (1904). Ceci explique à la fois l’aide de certains milieux financiers américains aux révolutionnaires russes (il fallait faire tomber le régime tsariste) et l’intervention militaire ponctuelle des USA contre l’armée rouge en 1918.
La politique américaine fut à la fois isolationniste et anticommuniste entre les deux guerres mais l’union soviétique conserva un capital de sympathie dans les milieux de gauche jusqu’à la signature du pacte [germano-soviétique]. Fortement impactée par ce dernier, la sympathie populaire ne revint qu’avec l’invasion allemande de 1941. Pour l’État, l’alliance avec l’URSS ne pouvait qu’être conjoncturelle afin de vaincre un État nazi devenu encombrant. Dès que celui-ci fut vaincu, la politique officielle changea et revint à ses fondamentaux : lutter contre le communisme, en fait affaiblir la Russie pour la dominer mais ceci ne fut jamais énoncé. La fin du système soviétique en 1989, sa transformation en un État économiquement libéral et le retour de la société russe à ses bases religieuses et nationales traditionnelles auraient dû éteindre l’opposition entre les deux anciens blocs. En fait, passée la pitoyable transition Eltsine, il n’en fut rien. Une guerre froide 2.0 où l’anticommunisme ne jouait plus aucun rôle se mit en place, preuve que l’ancienne opposition idéologique n’était pas la cause principale de l’hostilité déclarée.

Le livre de F. S. Saunders détaille la mise en place et le fonctionnement des outils de propagande américains de la guerre froide au niveau culturel. En 1945 l’Allemagne avait été littéralement écrasée par les alliés : des centaines de milliers de prisonniers de guerre allemands étaient notamment morts dans les camps américains (Other Losses, J. Bacque, 1989). La politique changeant presque du jour au lendemain, des centaines d’experts militaires et scientifiques nazis furent exfiltrés et récupérés par les services américains  pour apporter leur savoir faire dans la lutte contre les ‘rouges’ (Cf. Frank Wisner, Bill Casey, International Refugee Committee, opération Paperclip). Le côté soviétique ne fut pas en reste, bien sûr. Ensuite, il fallut non seulement reconstruire un État allemand docile et inféodé à ses vainqueurs, mais purger les autres États européens de leur soviétophilie et même de leur neutralisme. Le projet européen date de cette époque et son parrainage par la CIA ne fait aucun doute. Il fallut donc contrer la propagande soviétique massivement supportée par des partis communistes puissants bien implantés dans l’intelligentsia. La tâche était énorme, mais, avec le recul, on peut constater que le défi fut remporté.

Note de lecture.
L’ouvrage de Frances Stonnor Saunders relate de façon extrêmement précise l’implication de la CIA dans la guerre froide, au niveau culturel, depuis sa création en 1947 jusqu’à la fin des années soixante. Quelques noms ponctuent la narration presque tout au long de cette période : c’est le cas de Melvin Lasky, George Kennan, Michael Josselson, Nicolas Nabokov, Tom Braden, Arthur Schlessinger. L’événement initial ouvrant l’intervention de la CIA dans le domaine culturel fut la tenue du congrès pour la liberté de culture (Congress for Cultural Freedom). S’il fut assez vite clair que l’impact de la propagande américaine sur le territoire russe et ses marges ne pouvait qu’être très limité tout comme celui de la propagande soviétique sur les USA, la cible majeure qui apparut fut celle de la gauche non-communiste dans des pays clés comme la France, l’Allemagne et l’Italie (l’Angleterre étant définie comme hors jeu d’un commun accord). La rééducation informationnelle du public français fut désignée comme une tache fondamentale.
Les problèmes de financement prirent un aspect critique, le budget officiel de la CIA étant limité et voté par le Congrès, trouver d’autres sources devint nécessaire. Des fondations prestigieuses apportèrent leur concours à ce projet ‘patriotique’ (Ford, Rockefeller), des structures écran ad-hoc comme la fondation Farfield (Julius Fleischmann, 1952) furent crées pour rendre les montages financiers opaques et salarier discrètement des personnalités influentes sans que celles-ci ne sachent parfois que la CIA étaient derrières elles. En fait, de nombreux acteurs du processus étaient souvent des personnalités proches de la CIA, travaillant main dans la main avec elle sans pour autant appartenir à l’agence.

Derrière toutes ces revues ... la CIA
Des revues littéraires, philosophique, politiques furent créées, la plus notable étant Encounter (1953), mais aussi Der Monat, Preuves. D’autres furent simplement soutenues financièrement (Partisan Review, New Leader, ...). L’idée de départ était d’utiliser des supports de grande qualité pour attirer des écrivains très connus, réputés indépendants, et faire en sorte qu’ils soutiennent la politique américaine, qu’ils en défendent les valeurs, et attaquent à l’opposé l’idéologie communiste. Il fallait pour cela que la censure fut subtile, que la mainmise sur les comités de rédaction fut discrète, en bref que la main de la CIA ne se voit pas et ne puisse même pas supposer exister à cet endroit.
Côté romanciers, les auteurs privilégiant la vision éclairée de l’Amérique étaient aidés ; au contraire, ceux illustrant la question noire, subtilement censurés.
Le rôle de la CIA fut décisif (et positif) en matière de musique et de peinture. D’un côté elle soutint massivement la musique contemporaine et de l’autre l’expressionnisme abstrait (rôle important donné au MoMA de New York dont le premier président fut Nelson Rockefeller). L’idée défendue ici était que seule la liberté existant à l’Ouest pouvait permettre de tels développements artistiques. Cette politique eut parfois du mal à s’imposer aux bureaucraties conservatrices qui décidaient les budgets.

L’ouvrage donne l’image d’une énorme machine dotée de très gros moyens il est vrai, mais dont beaucoup d’acteurs se sont personnellement impliqués corps et âme par conviction idéologique. Le combat était clair : le camp du bien (anticommuniste) luttait contre le camp du mal (le communisme totalitaire) au nom de la ‘destinée manifeste’ de l'Amérique.

Il serait intéressant d’avoir une description symétrique de l’autre camp.

Ce livre fait 509 pages dont 70 pages de notes (en anglais). C’est une somme considérable d’informations qui en fait une référence absolue en la matière. La version française existe mais elle est actuellement indisponible.

Rédigé pour Amazon.

L’URSS ayant disparu en 1989, le soviétisme idéologique a disparu avec elle. Tous les partis communistes se sont effondrés dans la foulée et ce qu’il en est resté est sans rapport avec la forme d’origine. L’Empire américain qui prenait quelques gants face à son principal adversaire de la guerre froide n’en prend plus. Il a donc détruit sans état d’âme les petits pays qui lui résistaient et il s’est créé pour cela des adversaires sur mesure (al Qaïda puis Daesh), adversaires qu’il a intrumentalisés mais qui lui échappent aujourd’hui au détriment de ses alliés. Au niveau intérieur, il a abandonné les politiques sociales qui lui servaient à contrer le modèle soviétique (bourré de défauts certes, mais pas que). Du coup, l’image qui portait sa propagande s’est totalement flétrie. Sa puissance reste soutenue par le dollar (pour combien de temps encore ?) et par sa supériorité militaire quantitative mais il a perdu toute supériorité morale. Il est bien représenté par Trump, un bonimenteur vulgaire dont la politique extérieure n’est cependant pas pire que celle de ses prédécesseurs.

L’empire n’ayant plus besoin de se justifier (n’ayant plus d’adversaires capables de lui faire de l’ombre), on pourrait penser que le combat idéologique serait devenu obsolète … mais il n’en est rien. L’intensité du discours de propagande qui nous est imposé n’a jamais été aussi forte. Il suffit d’allumer la radio pour en saisir les différents thèmes :

a) le thème néolibéral de la finance toute puissante. There is no alternative.
b) le thème victimaire sociétal féministe, LGBTiste, antiraciste-migrationniste, … et [la lutte contre] les discours de ‘haine’ associés. Familles, distinctions sexuelles, religion [catholique], frontières, tout doit disparaître au nom du ‘progrès’.
c) le thème géopolitique : Chine, Russie, Iran forment l’axe du mal même s’ils ne nous ont rien fait. L’islamisme est bon ou mauvais selon l’humeur et les besoins.
d) le thème écologiste anthropo-thermo-carboné qui doit toujours finir par justifier la levée de taxes nouvelles
e) le thème sioniste et mémoriel (… enfin bref : ‘au secours Hitler revient’)
… pour n’en rester qu’à l’essentiel.

Cette diversité pose une difficulté majeure qui n’existait pas dans les discours portant sur l’ancienne opposition est/ouest, capitalisme/communisme, etc.  : ici, on ne sait ni quelle en est la source réelle, ni quelle en est la cohérence globale (à supposer qu’il y en ait une), ni ce à quoi on veut nous mener in fine. Et si la propagande binaire de la guerre froide mettait en jeu d’énormes machines comme le démontre si bien F. S. Saunders, on peut supposer que celles qui fonctionnent actuellement sont encore plus démesurées, internet leur donnant des pouvoirs nouveaux. Raison pour ne rien accepter sans examen approfondi.


Attaque sous faux drapeau ? Philippe Giraldi, un ancien spécialiste de l'anti-terrorisme et officier du renseignement militaire de la CIA, spécule dans un article de l'American Herald Tribune sur le fait que les USA pourraient avoir lancé plusieurs cyber-attaques, l'une sur le système antimissile iranien, l'autre sur le transpondeur de l'avion ukrainien abattu.

Sartre, de Beauvoir ... quelques épisodes peu ragoutants :  https://www.journaldemontreal.com/2019/04/03/concordia-honore-une-predatrice-sexuelle--who-cares (Bianca Lamblin dont il est question aurait  cependant été l'amante de S. de Beauvoir ; tous ces gens étaient dépravés).




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